Bon… J’ai un truc à vous dire. Et c’est pas joli joli…
Il y’a quelques mois maintenant, j’ai été invité à participer à une exposition collective avec pour thématique « Les 36 vues du mont Puy de Dôme », en référence aux 36 vues du mont Fuji d’Hokusaï (une série qui parle du paysage, de l’influence humaine sur ce dernier, de la vie autour du Mont Fuji https://fr.wikipedia.org/wiki/Trente-six_vues_du_mont_Fuji). L’exposition doit se dérouler au Conseil Départemental dans le courant de l’année.
Pour ma participation, j’ai réalisé un tirage qui fait référence à la nuit du 01 janvier 2012 dans les quartiers Nord de Clermont, le Puy de Dôme en fond, quand Wissam El Yamni a été embarqué par la police et ne reviendra jamais.
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas cette affaire : Wissam est décédé des suites d’un coma 9 jours et demie après son arrestation. L’affaire est une caricature, le procès se dirige vers un non-lieu, des témoins n’ont jamais été entendus par la justice, des photos disparaissent, la présence cachée pendant des mois des 9 voitures de police sur place le soir de l’arrestation, la liste est longue et terrifiante. (je vous mets des liens d’article de presse sur l’affaire en commentaire si vous voulez en savoir plus).
Avec du recul, je me dis que j’ai été relativement sage avec cette image, sachant que l’expo se passerait au CG, je voulais que ça passe. Aucune silhouette humaine n’est représentée, je ne parle pas d’acte, j’y parle d’absence, celle de Wissam, celle des policiers. J’y parle d’un enfer. J’ai représenté 3 bêtes, mi loups, mi chiens, la brigade canine étant présente ce soir-là. En fond, des barres d’immeubles et le Puy de Dôme.
Le titre de l’image : Wissam El Yamni 1981-2012
Pour cette expo, un film a été tourné afin de présenter les différentes techniques de l’estampe. Pas de chance, c’était moi qui était filmé pour la sérigraphie, et le titre y figure, ils l’ont vu et la machine s’est mise en route. A partir de là, il faut bien vous dire que je n’ai eu que des retours indirects, jamais personne du CG directement de visu ou au téléphone, impossible de défendre mon travail personnellement.
De ce qu’on m’aura transmis, le CG ne « souhaite pas prendre parti dans cette affaire » prétextant que le procès est toujours en cours, et souhaiterait donc retirer mon image de l’expo.
L’image étant présente dans le film, il était difficile de me faire sauter sans laisser de traces. Une proposition leur a été faîte (bien malgré moi) de retirer le titre pour pouvoir garder le film et ma sérigraphie ; de ce que j’ai compris, ils étaient prêt a accepter ce « compromis ».
L’image passerait donc seule, sans le titre, sans son nom. Outre la violence symbolique d’effacer le nom de Wissam du tirage, c’était retirer tout le contexte et prouver par là-même que le problème était bien le fait de parler de Wissam. La polémique n’est pas dans l’image, elle est déjà là partout autour de nous, ils ne veulent juste pas en parler, ne pas « prendre parti », on nage en pleine double pensée. La guerre c’est la paix, se taire c’est la neutralité.
Effectivement, ce n’est pas la vision du Puy de Dôme qu’ils devaient attendre, c’est la mienne. J’ai bien sûr refusé de retirer le titre, je saute donc de l’expo, on trouve un remplaçant, ils refont un film. D’autres artistes sont partis en apprenant ce que je vous raconte ici, on les remplacera aussi.
Un artiste ou un autre après tout…
Autre détail révélateur dans cette histoire : si j’ai bien compris, les élus ne sont même pas au courant. La décision est prise en amont, chacun.e prenant soin de mettre sa petite pierre au mur qui cachera le nom qu’on ne veut pas voir, une entreprise collective qui va de soi, sans que personne ne soit vraiment responsable… Ou alors un peu tout le monde.
Qu’on se comprenne bien, s’il s’agissait juste de mon image, de mon travail, je ne sais même pas si j’en parlerais ici. Que mon travail ne passe pas dans le cadre institutionnel du CG après tout, je survivrais. Mais il ne s’agit pas de ça ici, il s’agit de taire ce nom, participer au tabou ; et ce que ça révèle de la lâcheté institutionnelle, de la violence que subit la famille El Yamni depuis plus de huit années maintenant, d’autant plus dans le contexte actuel de violences policières… C’est lâche et insupportable.
Je vais exposer l’image dans mon atelier. Elle sera moins vue. Ils auront gagné ça mais elle aura sa vie malgré tout. Je ferai une vente au profit du comité Justice et vérité pour Wissam. un petit événement, une rencontre, un fanzine… Je ne sais pas encore.
On verra bien.
Un article chez l’huma.
France 3
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